LA PAGE DE JY

2 janvier

La voûte céleste, dont le seul mouvement perceptible est qu’elle tourne autour de l’Etoile polaire (dans l’hémisphère nord), mais qu’on sait lancée dans un mouvement gigantesque commencé il y a 13 milliards 800 millions d’années avec le big bang, m’envahit cette nuit, totalement, exclusivement. Aucune autre perception que ses milliers d’étoiles, bien plus que les quelques dizaines, au mieux quelques centaines, que nous laisse distinguer habituellement la pollution lumineuse.

C’est une émotion esthétique intense, au niveau de celle que j’avais éprouvée en découvrant, seul, dans une demi pénombre, « Le paiement du tribut » de Masaccio, dans La Chapelle du transept Est de l’église Santa Maria del Carmine à Firenze, avec ses à-plats de couleurs pures, où « Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte » de Georges Seurat, dans une des premières salles de l’Art Institute de Chicago, et ses milliers de points si lumineux, trois mètres sur deux.

Passée cette émotion, tout se remet à sa place. Si la Terre avait un an, l’homme serait apparu depuis 10 minutes, notre ère aurait 17 secondes, la révolution industrielle serait survenue depuis 1 seconde, Internet depuis un dixième de seconde… Dans moins d’une demi seconde, le réchauffement climatique aura des effets irrémédiables.

Peut-être est-ce aussi pourquoi je suis là, au milieu de ce désert liquide, pour éprouver au plus profond l’œuvre du temps, que n’effleure à ce moment précis qu’un air doux légèrement salé et le bruissement de l’eau.

23 décembre

Partir

 » Faut-il partir ? Rester ? Si tu peux rester, reste.

Pars s’il le faut. L’un court et l’autre se tapit

Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,

Le Temps…. »

C’est un extrait du poème de Baudelaire, Le voyage, qui m’a habité dans les mois précédent le départ.

Oui il fallait partir, courir encore sans doute, plutôt que se tapir. Partir pour mieux revenir, débarrassé des oripeaux et des masques. Partir pour décanter les vraies amitiés, les vrais attachements. Partir pour se désintoxiquer du futile, de l’inutile, de superflu. Partir pour se guérir de la maladie du temps.

Partir pour renaître, en remettant tout en jeu, à la découverte de soi-même, ou d’un autre soi-même que celui que renvoie le regard des autres quand il ne porte que sur les apparences. Scruter et garder le regard des femmes et des hommes vrais, qui se soucient peu de ces apparences. Partir pour se livrer à l’autre, à tous les autres, tel qu’en soi-même.

Alors, petit à petit, Le voyage de Baudelaire, qui au final évoquait l’inexorable dernier voyage, s’est estompé pour laisser la place à cet autre poème, de Pablo Neruda, superbe d’énergie et d’optimisme, qui finit ainsi :

 » Vis maintenant !

Risque-toi aujourd’hui !

Agis tout de suite !

Ne te laisse pas mourir lentement !

Ne te prive pas d’être heureux  »

18 décembre

Le plastique…

Il n’y a rien de plus incongru qu’un sac en plastique flottant mollement entre deux eaux. Là c’est un sac rose pâle, qui se gonfle et se dégonfle au gré des mouvements de l’eau, se prenant vaguement pour une méduse. Mais la méduse, elle filtre ! Le sac en plastique prend son temps, il a des années, des dizaines d’années, pour se décomposer ou finir dans l’estomac d’un mammifère marin ou d’un poisson. Les déchets de plastique en tuent un million chaque année. Et s’il leurs a échappé, il finit dans un gigantesque tourbillon de déchets au milieu de l’océan. Il y a aussi la bouteille en plastique échouée sur une plage en attendant d’être à nouveau emportée par les vents et les marées avant de rejoindre les sacs.

Alors nous ramassons la bouteille, nous repêchons le sac en pensant au colibri de la légende amérindienne racontée par Pierre Rabhi :

Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul un petit colibri s’activait, allait chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit :  » Colibri, t’es fou ! Ce n’est pas avec ces quelques gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »

Je sais, lui répondit le colibri, je le sais bien mais je fais ma part.

11 décembre

L’équilibre dans un environnement où la force de gravitation apparente est rarement verticale…

Un petit voilier est le moyen de locomotion le plus lent, le plus aléatoire et le plus risqué pour aller d’un point A à un point B, et il arrive que ce soit encore plus vrai d’un point B à un point C quand les circonstances se conjuguent défavorablement.

C’est aussi le moyen le plus inconfortable, pour la raison simple que la force de gravitation, contre laquelle nous luttons pour tenir debout, change d’angle en permanence sauf sur mer totalement plate et vent nul, circonstances assez rares de fait.

Une amplitude de 40 à 60° de l’axe apparent de l’attraction terrestre ne permet de garder une posture à peu près élégante qu’en se tenant par trois points, généralement les deux pieds et une main (ce que je fais en ce moment même par 30 noeuds de vent et des vagues de 3 mètres…). Pour libérer les deux mains il faut mobiliser un autre instrument, généralement le coccyx, avec cet inconvénient que les facultés préhensiles de cette partie de l’anatomie – du moins dans la perspective strictement mécanique de la démonstration – sont dramatiquement indigentes. Sans compter que garder une forme à peu près opérationnelle à sa propre carcasse mobilise des tas de petits muscles qui n’ont pas l’habitude qu’on les embête à terre. Alors ils se vengent avec ces lâches et désagréables représailles que sont les courbatures. Avec cette observation que l’exercice semble être plus difficile pour les grands, dont le centre de gravité est plus haut. Le triangle de sustentation doit donc être plus étendu, possibilité assez limitée dans un bateau dont la coursive fait 55 cm de large et la surface de la cuisine 0,30 m2… La variante grand maigre est la plus exposée, le grand baraqué étant généralement plus musclé.

Mais jusque là on n’a rien fait, juste se déplacer dans un parcours dont on peut à loisir varier les combinaisons entre la table à cartes, le cockpit, le lit, les toilettes et la gazinière. Non, on n’a rien fait… Le pire ce sont les objets, quand on essaie de les utiliser. Leur faculté à tenir sur un plan qui s’incline, alors qu’ils ont été généralement conçus pour être posés sur des surfaces horizontales et immobiles, est dramatiquement faible. Un seul objet trône, royal, au milieu de l’espace vital, sans être soumis à cet inexorable effet qu’est la glissade brutale suivie d’un atterrissage bruyant et potentiellement dévastateur.

C’est LA BOUILLOIRE, qui truste, sur la gazinière articulée, la meilleure place du bord !

23 Novembre 2018

A quelques jours de m’extraire du grand bain de l’information, voici ce que j’en ai entendu en une semaine :

  • Un autoportrait de David Hockney a été adjugé 90 millions de $, record pour un artiste vivant détenu jusqu’à présent par Jeff Koons avec Balloon dog. Chaque nouveau record est un indice de l’argent qui circule dans le monde et sa captation par une minorité.
  • Camélia Jordana sort son 3ème album. Une des plus belles voix françaises aujourd’hui. Elle s’exprime en français, anglais et arabe.
  • Georges Tron est acquitté, Tarek Ramadan libéré sous caution. Les jeux de la fascination et de la sidération troublent les limites entre consentement et viol.
  • La colonne de milliers de migrants arrive à Tijuana et voit les lumières de la Californie. De l’autre côté une troupe de militaires deux fois plus nombreux. Les ancêtres pas si lointains de Trump étaient allemands et écossais émigrés.
  • La colère des Gilets jaunes : c’est la goutte d’essence qui a fait déborder le vase du sentiment d’injustice. Selon Gilles Legendre, Pt du groupe de députés En marche, la situation a une cause principale : 30 ans d’impuissance publique, 30 ans de gestion publique calamiteuse. Trop simple… L’argument de l’incompétence des prédécesseurs n’est finalement pas rassurant.
  • Des milliers de Gilets oranges sont toujours entassés à Lesbos -et ailleurs- : dans leur immense majorité ils ont fui la misère et la guerre.
  • Journée internationale des toilettes : 4 milliards d’êtres humains n’y ont pas accès.
  • Le Wombat, marsupial australien, fait des crottes cubiques. Il les empile le plus haut possible pour montrer à ses congénères qu’il est en bonne santé. Quand on pense que les humains en produisent chaque années 4 milliards de tonnes… mais ils ne savent fabriquer de cubes que de béton.
  • Carlos Ghosn est arrêté au Japon sur soupçon de fraude fiscale. Çà fait beaucoup de mauvaises actions.
  • Black Friday : quel bilan carbone pour cette messe de l’hyperconsommation?
  • Yémen : ceux qui se battent et meurent ne savent plus pourquoi, ceux qui les financent savent pourquoi ils continuent.
  • Les Sentinelles, île de l’archipel Andaman : dans leur grande sagesse, ses occupants -ils sont 200- tuent toute personne qui y met un pied.
  • Les requins n’attaquent pas l’homme par instinct. Il y a une théorie selon laquelle ce serait le fait d’individus détraqués, bad boys de l’océan. Observons que chaque année les requins tuent en moyenne 5 humains, les humains tuent 100 millions de requins.
  • Fake news, pardon infox : de plus en plus souvent, des faits avérés sont ainsi qualifiés par ceux que ces vérités n’arrangent pas. Dans le flot charrié chaque jour, on n’a plus le temps de démêler le vrai du faux. L’agit’prop a pris une dimension hallucinante.

Vivre maintenant sans ce flot d’informations quotidiennes, retrouver le sens de l’écoute, de l’observation du réel, de la perception de l’immense, de l’appréciation du vrai.

Avec une question : à quelle vitesse faut-il vivre?

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