Fenua Enata – Terre des hommes – Les Marquises

Reprendre Brel fait figure de cliché … et pourtant nous en avons bien envie :

« Le temps s’immobilise, aux Marquises ».

Nous avons fait plusieurs fois du stop pour rejoindre le village d’Atuona ou pour rentrer dans la baie du mouillage de Hiva Oa. Notre chauffeuse du jour, après avoir qualifiée Marie de « succulente » car adorée des moustiques et nonos, nous avoue être heureuse d’être revenue aux Marquises depuis trois ans, pays de sa mère, car franchement la vie à Tahiti est vraiment stressante ! Ici, pas la peine de manifester le moindre signe d’impatience sinon la jolie marquisienne à la caisse de la station service épicerie, avec un grand sourire, risque de vous dire : « chacun son tour » en attentant que le vieux papy réunisse péniblement ses quelques pièces pour payer en partie les denrées achetées. Pour le reste on lui fera crédit jusqu’à la fin du mois…

La végétation est luxuriante et pourtant nous arrivions après une période de sécheresse préoccupante. Enfin il pleut et tout le monde est content, les hommes, les fleurs et les animaux, poules, coqs, poussins, partout en liberté, les chèvres et moutons dans les vallées, les vaches aussi. Pas de renards ici, madame et pas de serpents non plus, on est tranquille.
Nous resterons au mouillage, quelques jours ancrés (avant et arrière) dans la baie de Tahauku. Nos préoccupations d’escale sont en bas de la pyramide de Maslow : recherche d’eau, d’énergie, de nourriture. Le gazole, c’est avec les bidons dans le canoë à la station service. L’eau toujours avec un bidon sur le ponton inaccessible aux bateaux de passage, mais nous commençons l’opération récupération d’eau de pluie avec le taud du cockpit sur lequel nous avons branché un tuyau. Pour la toilette la douche est rustique : quatre murs en béton de 1,60 de haut sur le terre-plein avec écoulement direct dans la mer. Le plan de lavoir, adossé à la douche, permet de laver le linge (avec notre lessive biodégradable bien sûr). Pour la nourriture, une petite superette, mais inutile de chercher des fruits et légumes locaux : il faut aller à la cueillette ou avoir la chance de croiser un agriculteur qui a quelques cageots dans la benne de son pick-up.
Trouver une mangue en vaut la peine, énorme et onctueuse, elle aura suffi à notre dîner !

Saluer Brel et Gauguin au cimetière situé en haut de la colline et dominant toute la baie. Antoine, un jeune voyageur (pas le chanteur aux chemises à fleur), sur la modeste tombe de Brel, avec sa mini guitare, chantait « Le plat pays ». Nous l’avons rejoint naturellement pour le dernière couplet. Emotion partagée. Simple tombe, un tour en pavés de roches volcaniques et à l’intérieur, les admirateurs y laissent des petits galets sur lesquels ils ont écrit leur message, parfois les paroles d’une chanson.

 


Visite au musée Gauguin installé au centre du village. Une école primaire y travaillait pour la demi-journée. L’artiste a marqué les cœurs. Gauguin comme Brel ont passé les trois dernières années de leur vie aux Marquises, ils y ont recherché le calme et l’authenticité.

 

L’espace Brel près du terrain de foot situé en bordure de mer abrite le petit avion, soigneusement restauré, avec lequel le Grand Jacques avait rendu tellement de services aux marquisiens (transport de médicaments, de malades, …)

 

Pour le tour de l’île que nous souhaitions faire en voiture en proposant le covoiturage au jeune couple d’anglais également en Moody 376 et ancré à côté de nous, ce sera pour la prochaine fois. Notre réservation la veille, dans le hangar d’à côté, conclue pourtant par un check est tombée à l’eau. A 7h du matin, tous les quatre, prêts à partir à pied jusqu’au hangar, avons été de loin interpellés par le jeune tatoué : « y a pas de voiture » ! Désolé, Marianthe et Sam de vous avoir posé un « l… », mot interdit sur les bateaux ; quand ces derniers étaient en bois, les rongeurs n’étaient pas les bienvenus à bord.
Nous avons également fait connaissance avec le couple d’australiens propriétaire de « Three sheets », Laura et Martin avec lesquels nous avions eu des échanges VHF au milieu du Pacifique. Ils nous ont invités à dîner avec les jeunes anglais : somptueux ragout de thon pêché par eux. Marianthe nous avait préparé un « chocolate cake » et Sam avait prévu le vin blanc. Gin tonic à volonté.

Lundi 27 mai, nous décidons de changer d’île et de rejoindre par le canal du Bordelais, la plus petite île habitée, Tahuata. Des jolies petites criques qui abritent des plages de sable fin.

Les rochers et falaises basaltiques noires protègent de nombreuses espèces de poissons multicolores et quelques petits requins. Parait-il ils n’attaquent pas. Nous n’en avons pas vus ! Marie est néanmoins prudente, les moustiques et les nonos suffisent ! Et puis une très belle rencontre avec Stevens, l’unique occupant des lieux, né ici comme ses parents et grand parents. Un choix de vie difficile dans la nature, sans eau ni electricité. Après plus d’une heure d’échanges, il nous fait longuement visiter ses plantations, plans de tomates, citronniers, cocotiers, des plantes médicinales, du bois de rose. « Je prends et je redonne pour ceux qui seront là après moi ». Beaucoup de questionnements et la recherche du sourire entre les humains. Pas toujours très facile avoue-t-il. Donner n’est pas toujours compris par tous à sa juste valeur. Merci pour le bouquet de basilic, soigné pendant les huit mois de sécheresse, le petit citron gros comme une noix mais tellement délicieux qu’il aura parfumé plusieurs verres d’eau, et la noix de coco que nous emmenons avec nous. De nombreux Marquisiens font référence au climat qui n’est plus fiable. Le manque d’eau semble une réelle préoccupation pour ces îles normalement verdoyantes.
Le tour en kayak est merveilleux.
Une petite excursion au village principal de l’île, Vaitahu. Un accueil charmant chez Jimmy qui prend notre commande de fruits et légumes pour une livraison à l’heure de midi.

Ca tombe bien, il tient un restaurant en plein air et a reçu ce matin du thazard, une belle pièce péchée par son cousin. Il nous propose une préparation de poisson cru au lait de coco avec des légumes finement coupés : une tuerie !

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o A l’épicerie, le matin, je promets à Moe de repasser l’après-midi pour l’aider à localiser son portable disparu le samedi précédent au moment du retour pour les vacances, des collégiens en pension sur l’île Hiva Oa. Je vais dans sa famille pour bénéficier de la connexion Internet. Malheureusement, sans succès.
Sylvain et Isabelle, du voilier Oxygen, mouillé deux anses plus loin et venus à pied (3h et demi de marche quand même!) nous invitent à les rejoindre au mouillage plus au sud pour deux raisons : une fête se prépare à Hapatoni, et la baie porte bien son nom : la baie Hanatefau, surnommée la baie des dauphins. Plus d’une centaine de dauphins y ont élu domicile, les petits semblent s’entraîner aux sauts les plus spectaculaires, un festival toute la matinée du jeudi 30 mai.

Le 29, nous sommes allés à la fête du village, organisée à l’occasion du passage de l’Orion, petit navire à passagers. L’occasion pour l’île de montrer ses trésors : les chants, les danses, l’artisanat d’art en vente, les fruits frais. Tous les voiliers s’étaient joints aux festivités. La famille suisse a même mis ses compétences linguistiques au service des Marquisiens. Nous avons terminé en nous joignant aux chants en français, une fois les passagers du paquebot partis, sous l’œil étonné des anglais, australiens, autrichiens qui d’un coup ont pensé que nous parlions marquisiens ! « Il était un petit navire » certes au rythme et accent marquisiens n’était pas difficile à entonner. Un échange avec une des maîtresses femmes de ce village. Elle a visité le Mont Saint Michel, Lourdes, Paris, Notre-Dame bien sûr.

 

 


Jean-Yves a profité de l’exposition des pièces d’art pour offrir une pagaie sculptée à Marie pour son anniversaire. Du coup elle a pu se rendre chez le sculpteur Ernest, à quelques maisons de la halle polyvalente ouverte. Un super accueil avec visite de l’atelier. Julienne, sa femme, elle-même artiste, a offert des pommes cannelle toutes découpées à croquer. Sympa.
Le lendemain, nous décidons de rester au mouillage, il faut dire que la rencontre avec Isabelle et Sylvain avait été festive. C’est la première fois depuis notre arrivée que nous nous couchions après les 12 coups de minuit. Le matin, les dauphins, comme pour saluer notre présence, font des cabrioles ; ils resteront toute la journée dans la baie à sauter, nager, tourner, pêcher.
Nous nous décidons enfin à quitter cette jolie baie très animée pour rejoindre Nuku Hiva, la plus grande île des Marquises, avec sa capitale administrative Taiohae.
Jeudi 1er juin, nous arrivons dans la baie d’Anaho. Mouillage par 11 m de fond, 5 bateaux dans la baie complètement abritée.

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Vendredi 2 juin, nous décidons de rejoindre par le col, le village voisin Hatiheu, une bonne heure et demi de marche tout en dénivelé, mais c’est dimanche et le restaurant chez Yvonne est fermée. Coup de chance, nous profitons d’une barquette de cochon sauvage grillé préparée à l’occasion de la fête sportive paroissiale ! Marie-Claude et Alphonse nous saluent et discutent. Elle rentre de trois ans et demi passés en France en Corrèze où ses quatre enfants ont élu domicile et trouvé du travail. Depuis le terrain de foot depuis lequel nous sommes installés, nous avons une belle vue sur les impressionnantes aiguilles du Mont Teheu qui dominent la baie.

Sur l’une d’elles, depuis 1872, trône une vierge taillée dans le bois de l’arbre à pain et recouverte de chaux. Les anciens disent qu’elle a été hissée sur ce sommet pour arrêter la chute des pierres. La semaine suivante, notre guide Maté, nous indique que c’est un Père qui l’a hissée.
Au retour, nous cueillons quelques mangues, pamplemousses et citrons au bord du sentier fréquenté exclusivement par les marcheurs, les chevaux marquisiens et les mulets. La quinzaine d’habitants de la baie d’Anaho – la responsable d’un centre de vacances pour enfants, le jeune couple qui tient le restaurant, quelques pêcheurs et Jack, 78 ans, le communiquant publicitaire en retraite après avoir bourlingué dans le monde, qui s’est installé dans un faré un peu à l’écart – a refusé par vote local la construction d’une route prévue pour desservir un nouveau complexe hôtelier d’une trentaine de bungalows. Admirer les raies manta de la baie se mérite. Elles sont magnifiques, juste sous la surface de l’eau. Nous les avons observé avec le masque et le tuba mais du canoë, avec juste la tête dans l’eau : les habitants nous avaient prévenu qu’à cet endroit vers la sortie de la baie, les requins étaient un peu plus gros.

Les habitants de la baie d’Anaho, comme tous les Marquisiens, préparent le copra, le blanc de la noix de coco, séché au soleil, transporté dans des gros sacs de jute à Hatineu, à dos de mulets, acheminés en voiture à Taoiahe, et enfin embarqué vers Tahiti pour y être transformés à chaud en huile de coco qui sert notamment à la fabrication du monoï.

Le copra est très présent dans la vie des Marquisiens. Acheté à 140 CFP, soit 1,20 euros, il représente, pour beaucoup, la seule ressource financière et pour ceux qui ont un emploi, un complément substantiel comme nous l’avait confié la gardienne du musée Gauguin et de l’espace Brel à Hiva Oa. Le copra façonne le paysage. Toutes les vallées, les bords des plages sont plantées de cocotiers parfois en véritables forêts.

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Lundi 4 juin, nous quittons la baie d’Anaho, pour aller mouiller au sud de l’île à Taoihae, qui sera notre base pour deux visites dans les terres :
Le mercredi 6 juin, un tour de l’île avec un guide choisi pour nous par Colette, la femme orchestre du point tourisme. Tu peux tout lui demander, le midi de notre arrivée elle déjeune avec nous chez « Roger » au bar-snack du port. Avec Maté et un couple de jeunes américains, Meghan et George, nous visitons les vallées de l’ouest de l’île, Taipivai qui mène à la baie du Contrôleur, où Herman Melville écrivit Taipi, et Hatineu ; nous y déjeunons chez Yvonne, c’était ouvert cette fois. Sur la route, nous visitons le site archéologique de Kamaihei avec ses nombreux « paepae », fondations des anciennes maisons en très grosses pierres et une impressionnante tohua, place publique, tout cela autour d’un des plus beaux banians de l’île, d’environ 600 ans.

 

C’était un village vraisemblablement de 600 âmes quand les Marquises comptaient environ 100 000 habitants ? Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une dizaine de mille, décimés au sens littéral du terme par les maladies apportées en même temps que l’évangélisation.
Le jeudi 7 juin, une balade à cheval avec Sabine sur le plateau traversé par la route de 40 kilomètres menant à l’aéroport, à 900 mètres d’altitude sur les sommets du Toovii, balade qui nous met au rythme des Marquises tel que nous imaginons qu’il était avant la construction des seulement 150km de routes goudronnées ou bétonnées et l’arrivée des pick up 4X4 à 95% japonais.

Sur le plateau, un élevage de bovins avait été subventionné dans les années 90 sur fonds européens notamment. Il ne reste que quelques dizaines de têtes. Le projet n’a pas tenu. De toute façon, il n’y a ni abattoir, ni vétérinaire sur l’archipel ce qui interdit toute commercialisation « officielle ». Les consommations sont « personnelles » et heureusement les roulottes et restaurants prennent la liberté de servir de la viande locale, y compris des chèvres et cochons sauvages. Et c’est tant mieux car qui pourrait garantir la non rupture de la chaine du froid de la viande congelée néo-zélandaise venant par bateau de Tahiti et acheminée à dos de mulet dans les vallées ? Sabine possède avec son frère une soixantaine de chevaux qui vivent en semi liberté. Attention de bien tenir sa monture quand on croise les jeunes étalons en liberté ! Nous n’avons pas été désarçonnés, tous les chevaux connaissent la voix de Sabine.

Le vendredi 8 juin, avitaillement de bonne heure la matin avant de partir. Le débarquement en kayak sur le quai n’est pas simple en temps normal, vu le nombre de petits bateaux et d’annexes qui se bousculent. Mais quand les pêcheurs débitent leurs prises de la nuit et rejettent les arrêtes et viscères à la mer, les requins entrent dans le jeu : c’est la guerre. La pagaie touche l’un d’entre eux, la réaction du squale est brutale ! Petite frayeur du matin.
14 heures, départ pour la baie d’Hakatea, par vent fort et mer agitée. A l’arrivée la petite anse abritée nous procure un mouillage sans roulis : le bonheur, ça nous change de Taoihae !

 

Le lendemain, ballade à pied jusqu’à la cascade ….à sec.. de Tevaipo avec George et Meghan, les américains et Geneviève, Benoît et Matthieu, des canadiens.

 

 

Au retour de la ballade nous déjeunons chez Monette et Mathias, les « gardiens » de la vallées. La table est dressée dans leur lieu de vie , les plats locaux circulent et chacun se sert : poisson cru, poulet rôti succulent, beignets de banane, frites de fruits d’arbre à pain, citronnade maison à volonté.

A la fin du repas, Monette nous emmène sur son terrain cueillir des pamplemousses et citrons verts. Puis photo de famille et échange d’adresse, Monette ira à Montréal voir son fils à Noël.

Lundi 10 juin, approvisionnement en eau en canoë au robinet de la plage alimentée par la source d’altitude : 4 bidons de 25 litres dans le canoë, bidons empruntés aux canadiens avec lesquels nous échangeons sur les prévisions météorologiques et la négociation des passes des atolls des Tuamotu alors qu’une magnifique raie manta nage et saute autour du bateau. Une grosse tortue nous montre franchement son nez pour prendre une longue respiration en surface pour replonger. Elle pourra reste une vingtaine de minutes en apnée. Un requin de 2 mètres à peine passe sous le bateau : cela devient banal.
En fin d’après midi, un nouvel échange, avec des Danois cette fois, finit de nous convaincre de lever l’ancre avant la nuit pour arriver aux Tuamotu dans 3 ou 4 jours avant le grand frais annoncé.
Nous avons adoré les Marquises et les Marquisiens. Ils nous ont offert un contact direct et des relations authentiques. Nous avons constaté que beaucoup d’entre aux avaient voyagé (en métropole, aux Etats Unis…). Ils y sont habitués depuis le plus jeune âge puisque généralement pensionnaire dans l’île voisine pour le collège et à Tahiti pour le Lycée et plus loin encore pour l’université. Ils accueillent le voyageur avec simplicité.

5 commentaires sur “Fenua Enata – Terre des hommes – Les Marquises

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  1. Votre récit aux Marquises, qui semblent toujours préservées du tourisme de masse, me donne l’impression d’une merveilleuse rencontre humaine avec ses habitants.
    Je vous envie.
    Eric

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  2. Tout semble aller pour le mieux Madame la Marquise..! Voyage magnifique…
    Ici nous avons supporté une canicule de 42°C à l’ombre à Grasse, à peine régulée par la brise de mer qui nous apporte de vos nouvelles lointaines.

    Je rentre d’avoir franchi 16 cols en Alpine en 4 jours dans les grandes Alpes, dont l’Iseran (2770m, le plus haut d’Europe) où il faisait aussi bon qu’au niveau de la mer..!
    Grandioses panoramas que vont emprunter les cyclistes du Tour de France.

    Bises alpines.
    JLC

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